Le bruit sous-marin augmente rapidement, mais les lois canadiennes demeurent insuffisantes – voici comment y remédier

Les océans canadiens sont peuplés d’espèces marines qui utilisent des grognements, des appels, des cliquetis et des sifflements pour communiquer entre elles sur de grandes distances. Les chants envoutants des baleines, par exemple, peuvent voyager sur des milliers de kilomètres sous l’eau.

Malheureusement, ces sons naturels – qui sont absolument vitaux dans la navigation, la chasse, l’accouplement et la sécurité de ces espèces – sont noyés par la pollution par le bruit sous-marin d’origine humaine.

Blue whale diving with a cargo ship in the background
Une baleine bleue plonge avec un navire porte-conteneur en arrière-plan © iStock

Le vrombissement tonitruant des navires qui passent en surface, les détonations sismiques assourdissantes de l’exploitation pétrolière et gazière des fonds marins, et le martèlement rythmé des constructions maritimes côtières en constante expansion masquent le paysage sonore naturel. En fait, certaines régions de nos océans sont déjà 100 fois plus bruyantes qu’elles ne le seraient naturellement. Cet excès de bruit peut endommager temporairement ou de façon permanente l’ouïe des animaux s’ils se trouvent près des sources, accroissant le risque qu’ils soient blessés ou tués par des collisions avec les navires.

Pour atténuer et gérer le bruit sous-marin, le gouvernement fédéral s’est engagé en 2020 à développer une ébauche de Stratégie nationale sur le bruit dans les océans pour l’année suivante, et une stratégie finale devait commencer à être mise en œuvre en 2023.

La moitié de 2024 est déjà écoulée, et nous n’avons toujours pas vu d’ébauche.

Pour aider à donner un sens à l’environnement juridique en vigueur en matière de gestion du bruit sous-marin – et pour alimenter la création d’une stratégie forte – le WWF-Canada a mandaté East Coast Environmental Law et West Coast Environmental Law afin de mener une analyse juridique de la législation et des politiques fédérales pertinentes à la mise en œuvre ultérieure de la stratégie.

Southern Resident Killer Whale
Épaulard résident du Sud au large de la Colombie-Britannique © Scott Veirs, beamreach.org/Marine Photobank

Les constats sont éloquents. Le Canada n’a pas explicitement inclus le bruit sous-marin dans les lois et les règlements existants sur la conservation marine. Aussi, les outils juridiques en vigueur au pays sont sous-utilisés et manquent de cibles claires et d’éléments importants qui rendraient les efforts de protection juridiquement contraignants, mesurables et applicables.

Bien que notre compréhension et notre connaissance des effets négatifs du bruit sous-marin se soient approfondies dans les dernières années, on ne peut dire la même chose des outils juridiques et règlementaires canadiens en la matière. Certains mécanismes régulateurs qui s’appliquent plus largement à la qualité environnementale des océans, et qui pourraient protéger les écosystèmes marins des effets de la pollution sonore, ne sont pas utilisés efficacement.

Les dispositions du Programme de qualité du milieu marin (QMM) de la Loi sur les océans, par exemple, pourraient limiter la pollution sonore sous-marine par l’établissement de cibles et de seuils pour le bruit généré par les activités humaines. Pourtant, à l’exception des directives sur les activités sismiques, aucune disposition de la QMM n’a été utilisée, sans qu’on sache trop pourquoi.

Pour donner un autre exemple, la Loi sur les espèces en péril (LEP) interdit de nuire ou de harceler les espèces en péril, ainsi que de détruire leur habitat essentiel . Néanmoins, il n’y a aucune politique existante dans la LEP qui définisse ou développe des seuils minimaux de bruit visant à atténuer la nuisance, le harcèlement envers une espèce ou la destruction de son habitat acoustique.

Généralement, tout effet néfaste sur l’habitat acoustique dans les stratégies de rétablissement de la LEP sont décrits en termes qualitatifs, par exemple, indiquant que les niveaux de bruit ne doivent pas entrainer de perte de la disponibilité ou de la fonction de l’habitat. Mais des termes aussi vagues ne tracent pas de limites claires de ce que les espèces peuvent tolérer et sont difficiles à appliquer sans cible ni orientation. Cela signifie qu’une espèce désignée « en péril » (menacée, en voie de disparition, disparue ou préoccupante) peut toujours être exposée à des niveaux de bruit dangereux qui menacent la survie de la population.

Il est nécessaire de développer des limites et des seuils d’exposition dans les habitats essentiels afin que le bruit soit efficacement mesuré et réduit à des niveaux qui permettent le rétablissement à long terme des populations. Les cibles doivent tenir compte des limites biologiques (le volume que différentes espèces sont capables de supporter sans effet néfaste) et du savoir des communautés locales et autochtones.

Des mesures spéciales sur le bruit dans les aires marines protégées (AMP) sont une autre avenue à explorer. Le gouvernement fédéral a nombre de lois qui lui permettent de désigner certaines zones en tant qu’AMP, et ainsi limitent ou règlementent le type d’activités humaines qui peuvent être réalisées au sein de leurs frontières.

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Une baleine à bosse nage près d’un navire en Colombie-Britannique © Steph Morgan/ WWF-Canada

 

Par exemple, chaque AMP établie en vertu de la Loi sur les océans est dotée d’une interdiction générale de toute activité qui « perturbe, endommage, détruit ou retire » de cette zone tout organisme marin vivant ou son habitat, de même que d’autres règlements qui varient selon les AMP.

En théorie, cela inclurait la perturbation et la destruction de l’habitat par le bruit sous-marin. En réalité, après l’interdiction générale se trouve une liste d’exceptions pour les activités permises dans les AMP, ce qui inclut souvent des activités à la pollution sonore cumulée comme la navigation commerciale. Cela veut dire que la majorité des AMP créées en vertu de la Loi sur les océans ne sont pas des sanctuaires silencieux, mais plutôt des lieux où les espèces en péril souffrent encore des effets de la pollution sonore (en plus des rejets polluants issus des navires).

Le gouvernement fédéral doit commencer à prioriser les effets négatifs du bruit sous-marin lorsqu’il développe de nouvelles AMP ou qu’il gère celles qui existent déjà, et il doit inclure des cibles régionales de réduction du bruit qui soient mesurables et applicables en se basant sur les limites des espèces qu’on vise à protéger.

Beluga whale peaking its head above the water in the Arctic ocean
Béluga près de l’ile Somerset, Nunavut © David Merron / WWF-US

Les lois et mécanismes règlementaires mentionnés plus haut ne sont que quelques exemples des outils actuels que le gouvernement fédéral pourrait utiliser ou renforcer pour surveiller et règlementer le bruit sous-marin dans les océans du pays, et nous devons en faire plus pour conserver efficacement les écosystèmes marins du Canada.

La synthèse du rapport, Stratégie sur le bruit dans les océans du Canada : Une analyse des lois et des politiques, fournit une liste de recommandations juridiques pour que le Canada agisse enfin pour des océans plus silencieux.

Tandis que nous attendons impatiemment la publication de la Stratégie sur le bruit dans les océans, le WWF-Canada continue de militer pour une stratégie suffisamment forte qui entrainera des actions significatives, mesurables et urgentes. Pour en savoir plus sur les effets négatifs du bruit sous-marin et sur ce que nous pouvons faire pour baisser le volume, cliquez ici.